Bivouac 1 : In Maulatrê-d’Amont
1389m 
6 janvier 2022

Entre deux cafés

J’arrive chez Christine, une amie. Je la connais depuis plus de 30 ans, l’époque mémorable des scouts du Christ-Roi. Elle va m’expliquer le trajet précis jusqu’à mon bivouac de ce soir. Nous prenons un café, discutons un peu. Elle me montre sur la carte et je pars. Je vais tenter de profiter du coucher de soleil sur cette magnifique région.

La route est gelée, mais la montée se passe sans problème. Par-ci, par-là, quelques randonneurs se préparent pour une sortie de fin de journée. L’ambiance est hivernale. Les arbres sont recouverts de neige, mais conservent une couleur vert foncé. Le contraste rend tout très net, très précis. Je peux presque apercevoir le froid tant tout est cristallin. La nuit va être froide. J’abandonne la voiture pour démarrer ma marche. Une randonnée d’une petite heure pour atteindre mon but. La neige crisse sous mes pieds. Kali, ma chienne, est partie en avant. La neige la transforme, la rend pétillante. Elle court, renifle, mais toujours se retourne. Elle me regarde, jauge à mes mouvements si la direction qu’elle a prise est la bonne, puis, d’un bond, rassurée, repart de plus belle.

Les premières couleurs commencent à apparaître. Au loin, dans le ciel, au-dessus de la Dent de Burgo, le bleu clair laisse place au rose et à un bleu plus électrique. Le sourire me monte aux lèvres. La soirée va être belle. Je regarde autour de moi. Partout la neige, un blanc immaculé parsemé de sapins, fort, droit. Sur les flancs des montagnes, un mélange de neige et de roche, une roche qui a balayé la neige, incapable de résister à la pente. L’ombre gagne du terrain, la luminosité baisse et le ciel prend de plus en plus de couleurs. Des couleurs froides, électriques, du rose sous le bleu contrastent avec le gris foncé et le blanc des montagnes. Loin à l’horizon, les lignes de crêtes semblent avoir été coupées au couteau, précises, ciselées.

Je continue ma marche à travers la forêt. Le sentier monte doucement. J’avance, j’apprécie chaque pas, le silence, cette solitude bienfaisante, ces instants durant lesquels tout semble possible, si loin des tumultes grotesques de l’être humain. La nature m’accueille, ou plutôt m’accepte avec générosité. En sortant de la forêt, le spectacle est encore plus splendide. Dans une ultime représentation, la nature présente son grand final. Les nuages transforment le paysage en permanence, la luminosité diminue cédant la place à un ciel étoilé. La beauté succède à la beauté, jamais pareille, toujours magnifique.

Je capture l’instant, encore quelques clics, m’arrête puis repars. Le lieu du bivouac est proche. La nuit m’accueille. Je monterai le camp sans lumière. Un terrain plat entre trois arbres fera l’affaire. J’ai pris la tente. Il annonce une nuit glaciale. Une fois montée, il ne me reste plus qu’à l’orienter au mieux par rapport au vent. J’y glisse mon matelas, mon sac de couchage et mon sac à dos. Je mets ma doudoune pour la soirée et repars pour une balade. Encore quelques photos avant que finalement le brouillard ne vienne sceller l’affaire pour ce soir, aucune photo du Moléson sous les étoiles.

Pour la première fois, j’ai un matelas et un sac de couchage pour Kali. Je décide de manger dans la tente. Kali, elle, aura ses croquettes à l’extérieur. La soirée se passera à lire, caresser Kali et rêvasser. Le temps passe, doucement. Dehors, aucun bruit, aucune lumière, la vie s’est endormie. La nuit est froide. Kali se retourne. Je me demande si elle a assez chaud. Elle se met en boule, enfouit son museau sous son ventre. Elle semble paisible. Je suis content qu’elle ait un matelas. Le sol de la tente est froid.

Il fera -13 cette nuit. Par deux fois, je décide de sortir. Le brouillard est toujours là. Je retourne au fond de sac de couchage attendant le retour du jour.

La lumière est revenue. Je sors les affaires, démonte la tente. En me retournant, je vois le ciel, en feu. Je prends mon appareil et sors du bois. Les nuages créent une texture particulière. Le rouge feu se reflète sur chaque nuage. Je suis là, debout, saisis par l’émotion. La nature a cette faculté de rendre chaque instant merveilleux. Par son impermanence, elle nous oblige à savourer l’instant, au risque de le manquer.

Le spectacle se termine, je finis de préparer mes affaires, mets mon sac à dos et commence à marcher. Mon appareil à la main, je fais encore quelques photos. Je marche doucement pour savourer encore quelques instants cette nuit dehors.

Le premier bivouac s’achève. J’ai aimé, j’ai eu froid, j’ai admiré, j’ai partagé.

En redescendant, je m’arrête chez Christine pour la remercier. Elle m’offre un café. Assis dans sa cuisine, je l’écoute, distrait.

Entre deux cafés, un instant d’éternité, des sensations, des émotions, la vie.